Quand l'un s'imbrique dans l'autre.
L'inventeur Antoine LeCoultre a propulsé la production horlogère dans une nouvelle ère. Le fait qu'il ait réussi à fabriquer toutes les pièces de montres sur des machines marque le point de départ de l'industrie horlogère. Mais des querelles familiales ont failli empêcher son succès.
Pendant trois ans, Antoine LeCoultre a forgé des rasoirs le jour pour gagner sa vie. Et la nuit, il bricolait sa machine. En été 1832, sa forge abritait enfin une fraiseuse qui découpait dans l'acier des engrenages de montre parfaitement formés en une seule opération.
Dans la Vallée de Joux, la vallée suisse des horlogers, cette innovation est bien sûr considérée avec scepticisme et crainte. Pendant des siècles, les paysans y ont scié des roues dentées avec de simples outils pendant les longs hivers. Du jour au lendemain, LeCoultre a fait entrer cet artisanat traditionnel dans l'ère de la production industrielle de masse.
Avec son frère Ulysse, Antoine crée son propre atelier. Le frère s'occupe des affaires, Antoine des inventions. Bientôt, ses engrenages sont fabriqués avec une telle précision qu'il n'est plus possible de sonder les imprécisions avec les instruments existants. Antoine invente donc le millimètre - il est désormais en mesure de mesurer un millième de millimètre d'écart. Un nouveau standard de précision est créé dans l'horlogerie.
Le succès commercial, écrit l'auteur Alex Capus dans son ouvrage "Patriarches", ne se fait pas attendre. Des manufactures horlogères du monde entier achètent les roues dentées de LeCoultre et paient presque n'importe quel prix pour les obtenir. En parallèle, Antoine met au point le remontage de la couronne par bascule et une machine pour la fabrication de l'échappement. En 1847, à 44 ans, il est alors en mesure de fabriquer mécaniquement toutes les pièces d'une montre.
Mais comme souvent, à l'apogée du succès, des problèmes surgissent dans le partenariat fraternel. Qui est le plus important ? Selon la légende, les épouses jalouses jouent également un rôle. L'histoire ne dit pas comment se déroule la séparation. Seul le résultat compte : Ulysse reprend la production rentable de roues dentées. Il reste à Antoine des dettes et des machines.
Mais l'inventeur ne renonce pas. À l'occasion de l'exposition universelle de 1851, il fabrique sa première LeCoultre entièrement réalisée à la machine. C'est une sensation. De retour en Suisse, il commence la production en série et tombe apparemment une nouvelle fois dans le piège de la famille. Son gendre Jean Gallay se propose de prendre en charge la partie commerciale - et Antoine Le- Coultre en fait un partenaire à part entière. Malheureusement, Gallay n'est pas un bon homme d'affaires. En 1858, l'huissier de justice se présente à la porte d'"Antoine LeCoultre & Fls". Antoine doit même vendre sa maison de campagne. Il ne lui reste que ses chères machines.
En 1860, il fait une nouvelle tentative, mais cette fois avec des partenaires externes. Des actionnaires apportent le capital à la société LeCoultre, Antoine les machines. Il reçoit en échange 62 des 142 actions et devient directeur technique. Le début de l'apogée centenaire de l'industrie horlogère suisse offre à LeCoultre une demande énorme. Et même sur le plan familial, la chance tourne. Ses fils Elie, Paul et Benjamin ne se contentent pas d'entrer dans l'entreprise. Ils font également preuve de clairvoyance et rachètent peu à peu les actions. En 1877, l'entreprise prospère appartient à nouveau à la famille. Elle est alors productrice de mouvements de marques renommées telles que Vacheron Constantin, Patek Philippe et A. Lange & Söhne. Puis, en 1903, le petit-fils Jacques-David LeCoultre rencontrera le Français Edmond Jaeger, qui veut construire des montres extrêmement plates. Les deux finiront par fusionner - en 1937. En 1948, Jacques-David LeCoultre décède et avec lui le dernier membre de la famille à la direction de l'entreprise.
Au cours des décennies suivantes, divers noms se succèdent, jusqu'à ce qu'en 1978 - dans le sillage de la crise du quartz - Jaeger-LeCoultre connaisse à son tour de graves difficultés. Le fabricant allemand d'armatures automobiles VDO rachète l'entreprise. L'ancienne propriétaire de VDO, Liselott Schindling, est accusée d'avoir fait cette acquisition avant tout pour obtenir à moindre coût des montres raffinées avec lesquelles la cavalière de dressage couronnée de succès (médaille d'or en 1972) aimait impressionner les juges. Lorsque la mécanique connaît alors sa renaissance, LeCoultre est assainie et vendue au groupe Richemont en 2001. Aujourd'hui, Jaeger-LeCoultre emploie 1400 personnes au Sentier et fabrique plus de 60 000 montres de luxe par an.
Texte : Klaus Peter Fuchs / Gerd Gregor Feth