"On peut encore faire deux degrés".

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Quels sont les faits scientifiques concernant le changement climatique ? La table ronde de Lerbach pose la question, le professeur Jochem Marotzke, auteur principal coordinateur du chapitre "Le climat mondial futur" du dernier rapport de la CIPC, répond.

Lerbacher Runde (LR) La COP26 a été qualifiée de saloon de la dernière chance.Le monde a-t-il saisi la dernière chance ?

Jochem Marotzke (JM) Chez moi, le résultat du sommet sur le climat a laissé des sentiments mitigés. Glasgow ne nous a en aucun cas remis sur la voie de l'objectif de 1,5 degré et a donc été décevant pour beaucoup. D'un autre côté, la conférence a également permis de réaliser de nombreux progrès importants. Malgré tous les affaiblissements : La fin du charbon a été sonnée. C'est un fanal.

LR L'objectif de 1,5 degré peut-il encore être atteint de manière réaliste ?

JM Je ne pense pas. Dans les scénarios compatibles avec un réchauffement de 1,5 degré, il faudrait extraire de l'atmosphère des quantités gigantesques de CO2. Nous avons des analyses scientifiques assez robustes qui montrent que cette combinaison de réduction des émissions et de stockage du CO2 n'est pas plausible.

LR Qu'est-ce qui est encore possible ?

JM Nous avons une bonne chance d'atteindre l'objectif des deux degrés. Mais cela nécessite un changement de cap très rapide. Cela aussi sera extrêmement difficile.

LR Que signifient deux degrés de réchauffement pour nous tous ?

JM En règle générale, plus de changement climatique implique plus de risques. La probabilité d'événements destructeurs augmente tout simplement, le niveau de la mer monte plus vite. Mais il n'y a pas de limite claire entre un changement climatique sûr et un changement climatique dangereux. Ce n'est que si le changement climatique se poursuit que nous perdrons certaines choses de manière irréversible. Les plus menacés sont les coraux.

LR Par le passé, on a beaucoup parlé de points de basculement similaires, comme la perturbation de la circulation océanique, l'acidification des océans ou la fonte des glaciers. En avons-nous déjà franchi quelques-uns ?

JM Non. Un basculement définitif, comme beaucoup l'imaginent, est également peu probable pour de nombreux aspects. Le point de basculement le plus critique à mes yeux est encore celui de la calotte glaciaire du Groenland. Mais celle-ci ne disparaîtra pas non plus en quelques décennies.Même si cela se fait rapidement, cela prendra quelques milliers d'années. Mais elle ne reviendra pas non plus. C'est un véritable basculement.

LR Peut-on vraiment attribuer dès aujourd'hui au changement climatique des résultats singuliers comme les vagues de chaleur ?

JM Il y a une étude sur la chaleur record dans l'Ouest canadien en juin 2021. La ville de Lytton a brûlé après avoir atteint une température de près de 50 degrés. On a cherché à savoir si une telle chaleur aurait eu lieu sans le changement climatique. La réponse est : c'est pratiquement impossible. Cela n'a pu se produire qu'en raison du changement climatique.

LR Tous les pays ne seront pas touchés de la même manière par le changement climatique. Pouvez-vous esquisser les différences ?

JM L'Allemagne se réchauffera 1,5 fois plus que la moyenne mondiale, l'Arctique trois fois plus, l'Afrique du Sud deux fois plus. Pour un monde plus chaud de deux degrés, il fera donc quatre degrés de plus en Afrique. Les inquiétudes concernant des périodes de sécheresse dramatiques dans cette région sont donc tout à fait justifiées. Cela montre également pourquoi nous devons absolument éviter un réchauffement global de quatre degrés. Car pour l'Afrique australe, cela signifierait sept ou huit degrés. L'homme ne pourrait alors plus y séjourner à l'extérieur.La capacité de résistance physiologique du corps humain serait dépassée, car la combinaison de la chaleur et de l'humidité ne pourrait plus être amortie par le corps. Ce serait une catastrophe et cela entraînerait des perturbations politiques globales.

LR La question est de savoir ce que nous pouvons faire. Et surtout, que peuvent faire des pays comme l'Allemagne ?

JM En fin de compte, le monde ne pourra pas échapper à la nécessité de sortir de l'économie des combustibles fossiles. Toutes les autres mesures ne suffiront pas si nous n'y parvenons pas. Les combustibles fossiles réduisent à néant tous les progrès que nous pourrions réaliser par ailleurs. Isolée, l'Allemagne ne peut évidemment rien faire. Mais l'UE dans son ensemble, en tant que troisième plus gros émetteur de CO2, a déjà son importance. Bien sûr, celui qui prend les devants a toujours peur de tirer les marrons du feu pour les autres, les resquilleurs. Parce que la sortie du nucléaire a bien sûr aussi un coût économique. Mais je voudrais quand même l'encourager. Le premier à agir détermine la direction que prendront les technologies, les nouveaux procédés et les nouveaux systèmes. Et peut alors mieux exploiter les opportunités considérables qui en découlent.

LR Comment interprétez-vous le rôle de la Chine ?

JM La Chine veut être neutre en matière de gaz à effet de serre d'ici 2060. Et elle veut réduire ses émissions à partir de 2030. Je suis toutefois sceptique quant à la mise en œuvre effective de ces mesures. Je pense qu'il est assez certain que sa propre politique de pouvoir sera plus importante pour le gouvernement chinois que la protection mondiale du climat. Cela rend les objectifs climatiques très difficiles à atteindre.

LR Quelle est votre position sur l'utilisation de l'énergie nucléaire ?

JM L'énergie nucléaire comme future mesure de protection du climat serait, selon toutes les analyses, beaucoup trop chère. Je ne me précipiterais pas pour fermer les installations existantes, mais je ne construirais pas de nouvelles centrales. Ce n'est pas raisonnable d'un point de vue économique.

LR L'énergie marémotrice ou le reboisement peuvent-ils faire une différence ?

JM Ce qui est économiquement exploitable en matière d'énergie hydroélectrique est déjà mis en œuvre dans de nombreux endroits. Pour de nouvelles centrales marémotrices, il faut une énorme amplitude de marée. Il n'y a pas beaucoup d'endroits dans les océans du monde où cela peut fonctionner. Et pour le reboisement, il faut savoir :Seule la moitié de ce que nous retirons de l'air par le reboisement a un impact sur le climat. Toutes les méthodes basées sur la nature ont leurs limites. Elles sont néanmoins utiles. Mais elles ne sauveront pas le climat si nous continuons à utiliser des combustibles fossiles.

LR Le prix du CO2 est considéré par beaucoup comme un instrument d'incitation.A quel niveau devrait-il se situer pour que nous atteignions l'objectif des deux degrés ?

JM Cette question est très discutée par les économistes. Un chiffre de 180 euros par tonne circule. Cela est également lié au fait que de nombreuses technologies qui extraient le CO2 de l'air, le capturent ou l'utilisent à d'autres fins deviennent alors rentables. Mais il s'agit là aussi d'un problème à plusieurs niveaux.Si le prix est imposé, par une taxe ou des plafonds quantitatifs dans le cadre de l'échange de quotas d'émission, cela peut entraîner des distorsions sociales. Tous les pays ne peuvent pas se permettre de payer ces prix du CO2. Et si ceux-ci deviennent ensuite instables à l'intérieur, rien n'est gagné non plus. Outre le prix, il faut donc des réglementations coordonnées au niveau international.

LR La technologie de la fusion est depuis longtemps un grand espoir. L'électricité sans émissions et presque gratuite issue de cette technologie pourrait-elle sauver le monde ?

JM En tant que jeune intéressé par la physique, j'ai toujours lu que dans 30 ans, la fusion serait prête à produire de l'énergie. Ce chiffre est toujours d'actualité aujourd'hui. Il vaut sans aucun doute la peine de poursuivre ce travail. Je ne pense toutefois pas que cela permettra de remplacer assez rapidement les énergies fossiles pour la production d'électricité. Les défis techniques et scientifiques sont tout simplement trop importants.

LR La géo-ingénierie peut-elle fonctionner ?

JM Il semble en effet que des particules puissent être introduites dans la stratosphère et renvoyer la lumière du soleil. Mais cela m'inquiète plus qu'il ne m'inspire de l'espoir. Supposons qu'un pays puissant décide de le faire. Si un autre pays, quelque part dans le monde, se trouvait en difficulté parce que les zones de précipitations se déplaceraient, de graves conflits internationaux seraient programmés.

LR Les jeunes en particulier ont des craintes existentielles liées au changement climatique.Est-ce justifié ?

JM Je souhaiterais effectivement moins de lyrisme de crise et plus de science dans la discussion. Le fait que de nombreux jeunes pensent qu'ils n'ont aucune chance de survie en Allemagne me déprime. Bien sûr, les risques de catastrophes naturelles augmentent.Mais nous pouvons dire clairement : vous n'êtes pas directement menacés dans votre vie. Ce n'est pas le cas pour tous les points du globe. C'est pourquoi nous devons agir maintenant avec détermination.

LR Qu'est-ce qui vous rend confiant dans le fait que cela se produira, bien que Glasgow n'ait pas réussi à faire une percée cette année ?

JM La grande avancée de l'accord de Paris sur le climat de 2015 n'était pas tant la fixation d'un objectif de 1,5 degré. A Paris, on a réussi à transformer un problème global, où chacun pense que l'autre le résout à sa place, en 195 problèmes nationaux. Bien sûr, chaque pays doit encore atteindre ses objectifs climatiques nationaux, ce qui est loin d'être facile.Mais Paris a au moins établi de manière contraignante en droit international que chaque pays est lui-même responsable de cet objectif. Et c'est dans cet esprit que la politique continuera d'avancer. Comme je l'ai dit, je ne fais pas encore une croix sur l'objectif des deux degrés.Et le monde pourrait vivre avec cela.

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